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DEJA
SUR MARS |
N°
002 - AVRIL 2005
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suite de
la Une - En accusant les enseignants de manipuler la protestation lycéenne,
l’actuel ministre de l’éducation sousentend au moins trois choses: premièrement,
qu’il est possible de disposer d’un élève comme d’un objet; deuxièmement, qu’un
élève ne sait pas pourquoi il (se) manifeste; en.n, que les enseignants se servent
de leurs élèves en vue de revendications statutaires. Ces sous-entendus manifestent
une méconnaissance totale de l’univers éducatif. Qui se confronte aux élèves au
quotidien apprend, parfois à ses dépends mais le plus souvent avec bonheur, qu’ils
ne sont pas de simples choses. Si tel était le cas, il suffirait de programmer
un élève pour qu’il apprenne. |
Cela pourtant ne suf.rait pas puisque l’éducation ne saurait se réduire au simple
apprentissage: éduquer, c’est à la fois transmettre et faire comprendre. Ainsi,
la valeur de l’éducation vient de ce qu’un élève n’est pas une simple chose. Cette
dif.cile liberté de la personne avec laquelle les enseignants tâchent de composer
génère, sinon des obstacles pédagogiques, du moins une résistance manifeste qui
nous interdit d’assimiler l’élève à une chose. Sans compter que les élèves, par
leur nombre et la réticence qu’ils éprouvent instinctivement face au travail scolaire,
rejet conforté par les idéologies consuméristes de la modernité, sont davantage
manipulateurs que manipulés. Présupposer qu’un élève ne sait pas pourquoi il manifeste,
c’est d’abord établir une hiérarchie du savoir calquée sur les différences d’âge
et la diversité des fonctions. Ainsi, un élève, parce qu’il est jeune et inactif
encore, ne peut pas savoir et n’a pas à savoir pourquoi il agit. Si le savoir
venait avec l’âge, cela se saurait: nos politiques septuagénaires agiraient constamment
sous l’éclairage de la Raison. Par ailleurs, rejeter une action comme nulle et
non avenue, du simple fait qu’elle méconnaît ses motifs et ses intentions propres,
c’est condamner tout un pan de l’agir humain qui a trait à la spontanéité des
actes; c’est réduire l’action à la seule stratégie, au calcul politique. Or, ne
pas savoir ce que l’on fait est peut-être, face aux politiques qui savent très
bien ce qu’ils font, un signe de probité et d’honnêteté. Cette candeur est également
l’expression d’une inquiétude. Or, nous savons depuis peu qu’il n’y a pas lieu
de s’inquiéter, même si de réels problèmes motivent notre inquiétude (« positive
attitude » ou la politique placebo).
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Si le manifestant
savait, nulle inquiétude ne le pousserait à manifester. Par conséquent, on ne
peut reprocher à l’élève qu’il ne sait pas pourquoi il manifeste puisque c’est
précisément parce qu’il ne sait pas ce qui se trame dans son dos qu’il manifeste.
Assoir la clarté de ce qu’on a à dire sur la prétendue confusion des propos de
la partie adverse, comme le fait le ministre de l’éducation, c’est tout comme
espérer gagner une partie d’échecs en escomptant que l’adversaire soit en moindre
forme et qu’il se trompe. Enfin,
en accusant les enseignants de manipuler, il semble que le ministre confonde l’éducation
et l’art politique. C’est là un mécanisme classique des hommes au pouvoir que
de mettre en cause les pouvoirs autres que ceux qu’ils détiennent. L’élève qui«
ne sait pas » est l’expression politique de: « l’élève n’a pas à savoir ».Le pouvoir
qui s’assoit sur le monopole et la rétention des savoirs, quels relents abjects
d’obscurantisme pour une société prétendument républicaine !De toute façon, l’éducation
n’est pas l’exercice d’un pouvoir mais la recherche d’une autorité: elle ne se
fonde pas sur la faiblesse de ceux qu’elle a à charge mais tente d’obtenir leur
reconnaissance.. |
Faut-il voir dans cette énième calomnie ministérielle la crise de l’autorité politique
qui, à défaut de convaincre en sollicitant l’intelligence citoyenne, tente de
persuader par la gymnastique rhétorique ? Les effets sémantiques qu’affectionne
l’actuel gouvernement tendent à le montrer: « hommes de terrain », « France d’en
bas », « prise d’otage », « la France qui se lève tôt », « positive attitude »…et
« lycéens manipulés ». A.I.
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