Pour
les différents opérateurs impliqués dans le Plan de Sauvegarde du Parc Bellevue,
le plus important jamais mis en œuvre en France tant par son envergure que par
sa complexité, c’est le dernier palier : fin 2005, tous les chantiers restants
seront finis. Un exemple de réussite en ce domaine ? Les habitants, bien qu’ils
soient les premiers à le reconnaître, se gardent de verser dans l’euphorie. Non
pas tant à cause de l’échec des premières opérations similaires engagées début
des années 90. Simplement,
dit-on, la réhabilitation, sous peine de devenir à la longue et pour tout le monde
- pouvoirs publics compris -, un vrai cauchemar de Sisyphe, ne devrait pas concerner
les murs seulement. |
Elle est sans doute aussi, fondamentalement, une affaire d’ordre humain et
social, voire politique. C’est dire si le scepticisme a quelques raisons d’avoir
la peau dure. | MOUHCINE,
40 ans, vice président du Centre social, se rappelle l’époque – les années 80
surtout – où, en circulant entre les bâtiments de la cité Bellevue, il ne fallait
pas traîner sans surveiller le ciel. Il pouvait tomber, d’un balcon, un frigo
ou une gazinière. « Tu me crois pas ?… J’ai vécu ça : c’est le fracas sur le sol
qui a fait que je me retourne : un frigo qu’on avait balancé d’en haut. Quelques
secondes et je ne serais pas là en train de te causer. Et ça, c’était courant.
» L’électroménager volant : un phénomène dont on n’en finit pas d’entendre évoquer
divers souvenirs. On était alors au comble de l’incurie : ascenseurs indéfiniment
en panne, trop de fuites d’eau, trop d’ordures, pas d’éclairage public, aucune
réparation. Et du chacun pour soi : absence d’un quelconque cadre de dialogue,
aucune volonté d’organisation. Et bien sûr, dans ces cas-là, il en est toujours
qui, ne voyant pas comment une goutte de civisme de leur part réduirait le marasme
ambiant, choisissent la facilité. Le problème est que plus le délaissement s’aggrave
et plus le je-m’en-foutisme s’accroît. Et son corollaire, bien évidemment : la
violence. Cette logique de décadence avait fini par valoir au Parc Bellevue
l’étiquette de « cité la plus pourrie d’Europe ». De sorte que, ceci expliquant
cela, le nom seulement de Félix Pyat, secteur intégrant les quartiers limitrophes
et qui se trouve donc à quelques minutes du Vieux Port, résonnait, question sécurité,
comme la plus parfaite représentation de ce que l’imaginaire collectif appelle
les quartiers nord, assimilés dans cette dé.nition, par trop abusivement du reste,
à des espèces de « coupe-gorge ». Années 70 : les propriétaires se désengagent
Construite entre 58 et 61, la cité du Parc Bellevue – 8 bâtiments, 814 logements
vendus sur plans – accueille d’abord des rapatriés du Maghreb, Algérie et Tunisie
essentiellement. Les années 60 voient s’y installer de nouveaux occupants, conséquence
d’énormes besoins de main d’œuvre d’une France en plein boom économique et de
mesures incitatives de regroupement familial allant de soi. Des propriétaires,
trouvant mieux pour se loger ou simplement appâtés par le gain, deviennent bailleurs.
Années 70 en.n : les propriétaires, frappés par la crise économique, n’arrivent
plus à entretenir leurs biens. De plus en plus ils se désengagent. Commence alors
le délabrement. Très vite, la cité devient méconnaissable. Les occupants changent
fréquemment, désertent les lieux. Des logements sont abandonnés, des squatteurs
apparaissent. Yamina, chargée de communication au Centre social : « Un T3 était
occupé, à lui seul, par plusieurs familles. Au total : une quarantaine de personnes
originaires d’Europe de l’est. Et parmi elles des enfants. Plus encore : dans
le même appartement, il y avait, au bas mot, quelques 200 pneus stockés… » C’est
le lot des sans papiers : pour vivre, on fait commerce de tout. « C’est par rapport
aux enfants que j’ai dû alerter les pouvoirs publics : une histoire de santé d’abord,
de scolarité ensuite. » Yamina regrette seulement la façon dont la situation a
été réglée : « Il y avait, dans toute la cité, plus d’une centaine de sans papiers,
tous originaires d’Europe de l’est. Ils ont été simplement expulsés. Mais le problème
demeure aussi bien pour eux que pour la collectivité. On ne l’a pas résolu, on
n’a fait que le déplacer. » La suite page 4 |